La Cause en bref
Les Causes en bref sont des courts résumés en langage simple des décisions rendues par écrit par la Cour. Ils sont préparés par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada. Ils ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et ils ne doivent pas être utilisés lors d’une procédure judiciaire.

Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)
Informations supplémentaires
- Voir le texte intégral de la décision
- Date : 14 juin 2018
- Citation neutre : 2018 CSC 31
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel fédérale
- Renseignement sur le dossier (37208)
- Diffusion Web de l'audience (37208)
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Décisions des tribunaux inférieurs :
- Cour d’appel fédérale (jugement rendu en appel)
- Cour fédérale (jugement)
- Tribunal canadien des droits de la personne (décision Matson, décision Andrews)
Sommaire de la Cause
La Cour suprême a confirmé que le Tribunal canadien des droits de la personne n’avait pas le pouvoir de décider si des parties de la Loi sur les Indiens étaient discriminatoires, parce que les textes de loi ne sont pas des « services » fournis au public. Cependant, les individus peuvent tout de même présenter une demande fondée sur la Charte devant une cour.
Les Autochtones peuvent obtenir le statut « d’Indien » en vertu de la Loi sur les Indiens, loi qui établit les critères qu’une personne doit respecter pour être considérée comme un « Indien ». (« Indien » est un terme désuet qui est encore utilisé dans certaines lois canadiennes pour désigner les Autochtones.) Ce statut leur donne accès à différents programmes et services du gouvernement. Le statut n’est pas fondé sur l’ethnicité, le patrimoine ou l’origine raciale; il est accordé si les parents de la personne ont obtenu le statut (ou pouvaient l’obtenir). La Loi prévoit deux types de statut. Le premier, le « statut visé au paragraphe 6(1) », permet à la personne de transmettre le statut à ses enfants, même si l’autre parent n’a pas le statut. Le deuxième, le « statut visé au paragraphe 6(2) », ne permet pas à la personne de transmettre le statut à ses enfants, à moins que l’autre parent n’ait le statut.
Certaines personnes qui se considèrent Autochtones peuvent ne pas être admissibles au statut. Cette situation est attribuable à des politiques gouvernementales discriminatoires désuètes qui ont fait en sorte que des personnes ont perdu leur statut. Ces personnes ont perdu leur statut lorsqu’elles sont devenues « émancipées », ce qui signifie qu’elles ont perdu leurs droits obtenus en vertu de la Loi sur les Indiens. Une de ces politiques encourageait les gens à renoncer à leur statut afin d’obtenir en retour des droits fondamentaux dont jouissaient déjà les autres Canadiens (comme la pleine citoyenneté et le droit de posséder des terres). Une autre politique avait pour effet d’« émanciper » systématiquement une femme ayant obtenu le statut lorsqu’elle épousait un homme qui n’en avait pas. Ces politiques avaient pour objectif d’assimiler les Autochtones et de détruire leur culture; elles ont donc eu des effets préjudiciables importants sur la collectivité autochtone au Canada. Ces politiques ont pris fin en 1985, et le gouvernement a adopté des lois pour redonner le statut aux personnes qui l’ont perdu, ainsi qu’à leurs enfants et à leurs petits-enfants.
Cette affaire portait sur deux groupes de personnes qui avaient le statut « d’Indien » mais qui ne pouvaient pas le transmettre à leurs enfants, ou qui n’étaient pas du tout admissibles à un quelconque statut. La situation était le résultat de politiques discriminatoires. Les groupes affirmaient que le gouvernement n’a pas pris des mesures suffisantes pour réparer les dommages causés par les politiques antérieures.
Le premier groupe était composé des membres de la fratrie Matson, dont la grand-mère a perdu le statut lorsqu’elle a épousé un homme qui n’en avait pas. Bien qu’ils aient pu obtenir le statut plus tard en vertu du paragraphe 6(2), ils ne peuvent pas transmettre le statut aux enfants qu’ils ont eus avec une personne non inscrite. Si leur grand-mère n’avait pas perdu son statut, ils auraient pu obtenir le statut en vertu du paragraphe 6(1) et ainsi le transmettre à leurs enfants, quelles que soient les circonstances.
Le second groupe était la famille Andrews. Le père de M. Andrews a choisi l’émancipation avant la naissance de M. Andrews. Des lois subséquentes ont tenté de régler le problème, mais n’ont pas entièrement réussi. Selon ces lois, M. Andrews avait le statut visé au paragraphe 6(2), mais sa fille n’en avait aucun. Si le père de M. Andrews n’avait pas perdu son statut, M. Andrews aurait pu obtenir le statut visé au paragraphe 6(1), et sa fille le statut visé au paragraphe 6(2).
La Commission canadienne des droits de la personne a présenté des contestations au Tribunal canadien des droits de la personne au nom des Matson et des Andrews. La Commission a soutenu que la loi qui prévoit les critères d’admissibilité au statut était discriminatoire. Le Tribunal a affirmé qu’il n’avait pas le pouvoir de trancher cette question. La Commission a demandé la révision judiciaire des décisions du Tribunal. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont confirmé les décisions.
Le juge Clément Gascon, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, a affirmé que les décisions du Tribunal rejetant les contestations étaient raisonnables. Les cours de révision donnent habituellement une grande latitude au décideur qui interprète les pouvoirs que lui confère la loi qui le régit (sa « loi habilitante »), sauf si la décision n’appartient pas aux issues raisonnables possibles. La loi habilitante du Tribunal était la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon cette loi, le Tribunal avait seulement le pouvoir de décider si le « service » avait été fourni d’une façon injuste, et non si une loi elle-même était discriminatoire. Les Matson et les Andrews soutenaient que la Loi sur les Indiens était discriminatoire. Le juge Gascon a conclu qu’il était raisonnable que le Tribunal examine la question de savoir si une loi pouvait être considérée comme un service, et qu’il rejette les demandes lorsqu’il a conclu que tel n’était pas le cas. Cependant, il a précisé, à l’instar du Tribunal, que les Matson et les Andrews pouvaient toujours présenter des contestations de la Loi sur les Indiens fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés.
Le juge Russell Brown était d’accord pour dire que les décisions du Tribunal devraient être maintenues. Cependant, il a remis en question une partie de l’approche des juges majoritaires concernant l’examen des décisions administratives en général.
Les juges Suzanne Côté et Malcolm Rowe étaient aussi d’accord pour dire que les décisions du Tribunal devraient être maintenues, mais pour des motifs différents. Ils ont soutenu que les cours de révision devraient examiner de nombreux facteurs avant de décider de donner une telle latitude au Tribunal. Après avoir examiné ces facteurs, ils ont affirmé que la réponse du Tribunal à la question de savoir si les textes de loi étaient un « service » ne devait pas seulement faire partie des réponses possibles raisonnables — elle devait être la réponse correcte. Cela signifie que les cours de révision peuvent infirmer une décision si, par exemple, le Tribunal avait conclu, à tort, qu’une plainte visait un « service » alors que tel n’était pas le cas. Dans cette affaire, ils ont conclu que le Tribunal avait eu raison de décider que l’acte de légiférer n’est pas un service, et ils auraient confirmé les décisions.
La Cour suprême ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si des parties de la Loi sur les Indiens étaient discriminatoires. Elle a seulement confirmé que le Tribunal canadien des droits de la personne n’avait pas le pouvoir de trancher cette question. Bien que tous les juges étaient d’accord sur ce point, certains ne s’entendaient pas sur la façon dont les cours de révision devraient examiner les décisions des organismes administratifs.