La Cause en bref
Les Causes en bref sont des courts résumés en langage simple des décisions rendues par écrit par la Cour. Ils sont préparés par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada. Ils ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et ils ne doivent pas être utilisés lors d’une procédure judiciaire.

Barer c. Knight Brothers LLC
Informations supplémentaires
- Voir le texte intégral de la décision
- Date : 22 février 2019
- Citation neutre : 2019 CSC 13
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Décompte de la décision :
- Majorité : le juge Clément Gascon a rejeté l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Rowe et Martin)
- Concordance : le juge Russell Brown a affirmé que M. Barer n’avait pas reconnu la compétence du tribunal de l’Utah, mais que ce tribunal avait quand même compétence pour d’autres motifs
- Dissidence : la juge Suzanne Côté a dit que M. Barer n’avait pas reconnu la compétence du tribunal de l’Utah et que ce dernier n’avait pas compétence de quelque autre façon, de sorte qu’elle aurait accueilli l’appel
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignement sur le dossier (37594)
- Diffusion Web de l'audience (37594)
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Décisions des tribunaux inférieurs :
- Décision sur la demande (Cour supérieure du Québec) (en anglais seulement)
- Décision sur la demande (Cour d’appel du Québec) (en anglais seulement)
- Appel (Cour d’appel du Québec) (en anglais seulement)
Sommaire de la Cause
Il est contradictoire pour un résidant du Québec de soutenir qu’un tribunal étranger n’a pas compétence pour statuer sur une poursuite intentée contre lui, tout en soulevant des arguments dont le tribunal pourrait se servir pour trancher le litige en sa faveur, a jugé la Cour suprême.
Les lois sont locales. Une loi adoptée à un endroit ne s’applique pas automatiquement ailleurs. Autrement dit, on ne peut pas prendre un jugement rendu à un endroit (p. ex. celui où l’on vit) et obtenir automatiquement son exécution à un autre endroit (p. ex. celui où une personne qui doit de l’argent vit). Vu le caractère local des lois, les tribunaux n’ont « compétence » (un pouvoir) que dans les limites de leur propre territoire. Cependant, de nos jours, les gens mènent leur vie et leurs affaires sans se limiter à un seul territoire. Il existe donc des règles sur la façon de traiter de façon juste et efficace les décisions rendues par un tribunal étranger. Ces règles font partie d’une branche du droit connue sous le nom de « droit international privé ».
Pour qu’une décision étrangère soit exécutée au Québec, le tribunal québécois doit décider d’accepter (ou de « reconnaître ») celle‑ci dans la province. Cela ne veut pas dire que ce tribunal va réexaminer l’ensemble des faits et des arguments. Cela signifie simplement qu’il va appliquer les règles québécoises pour déterminer si le tribunal étranger avait compétence sur le résidant du Québec. Les décisions d’un tribunal étranger seront généralement reconnues, sauf exceptions.
Une décision étrangère peut être acceptée et exécutée au Québec notamment si le résidant de cette province a reconnu la compétence du tribunal étranger. En termes juridiques, on parle alors de « reconnaissance de la compétence ». Si le résidant du Québec n’a pas reconnu la compétence du tribunal étranger, le tribunal du Québec peut décider de ne pas exécuter le jugement étranger. Dans un tel cas, la personne qui poursuit le résidant du Québec ne pourra pas être payée dans cette province, malgré l’ordonnance rendue par le tribunal étranger. Il est donc important de savoir si un résidant du Québec poursuivi à l’étranger a reconnu la compétence du tribunal étranger.
Cependant, ce n’est pas toujours clair. Il est possible de reconnaître explicitement la compétence d’un tribunal par une affirmation claire en ce sens. Mais on peut aussi juger qu’une personne l’a implicitement reconnue par son comportement. Cependant, les juges et les auteurs ne s’entendent pas sur les actes susceptibles d’être considérés comme des signes de reconnaissance implicite. Plus précisément, ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si une personne reconnaît réellement la compétence d’un tribunal lorsqu’elle débat du « fond » d’une affaire pour éviter un résultat défavorable, tout en affirmant également que le tribunal étranger n’a pas compétence. (Le « fond » s’entend des faits et du fondement juridique de l’affaire.)
C’est précisément la question qui se posait dans la cause de M. Barer, un résidant du Québec. Il était président de deux sociétés, l’une établie à Montréal et l’autre dans l’État du Vermont aux États‑Unis. Knight Brothers était, pour sa part, basée dans l’État américain du Utah, où la société établie au Vermont s’occupait d’un projet. À la suite d’un différend contractuel à l’égard du projet, Knight Brothers a poursuivi M. Barer et ses deux sociétés devant un tribunal de l’Utah.
M. Barer a demandé au tribunal de l’Utah de rejeter sommairement la poursuite intentée contre lui (c’est‑à‑dire de la rejeter sans tenir une audience complète). Il a affirmé que le tribunal de l’Utah n’avait pas compétence tout en faisant valoir des arguments de fond justifiant le fait que la poursuite de Knight Brothers ne pouvait être accueillie. Le juge a rejeté sa requête en irrecevabilité et M. Barer ne s’est pas défendu davantage. Au final, le tribunal de l’Utah s’est prononcé en faveur de Knight Brothers. Comme M. Barer vivait (et avait des actifs) au Québec, Knight Brothers a demandé à un tribunal québécois de reconnaître la décision.
Le juge de première instance a conclu que la décision pouvait être reconnue au Québec. Selon lui, M. Barer avait reconnu la compétence du tribunal de l’Utah en débattant du fond de l’affaire dans sa requête en irrecevabilité. Le juge a décidé que M. Barer devait verser à Knight Brothers plus de 1,2 millions de dollars. La Cour d’appel a rejeté son appel.
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont convenu que le jugement de l’Utah devait être reconnu au Québec. Ils ont affirmé qu’un défendeur reconnait la compétence d’un tribunal lorsqu’il présente des arguments qui (s’ils étaient retenus) permettraient de trancher le litige — ou une partie du litige — sur le fond. Il serait injuste et inefficace si une personne pouvait essayer de convaincre un tribunal étranger sur le fond tout en ayant toujours la possibilité de contester la compétence de ce tribunal chez elle si n’est pas satisfaite du résultat obtenu. Quand M. Barer a débattu du fond de l’affaire dans sa requête en irrecevabilité, il a reconnu la compétence du tribunal de l’Utah au regard du droit québécois. Si le tribunal de l’Utah avait retenu cet argument, il aurait tranché le litige en faveur de M. Barer sur cette question et Knight Brothers aurait dû accepter ce résultat. M. Barer a fait un choix stratégique et il doit en accepter les conséquences.
Cette affaire est propre au droit québécois, tel qu’énoncé dans le Code civil du Québec. Le Code civil s’applique aux questions juridiques à caractère non criminel au Québec.