La Cause en bref
Les Causes en bref sont des courts résumés en langage simple des décisions rendues par écrit par la Cour. Ils sont préparés par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada. Ils ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et ils ne doivent pas être utilisés lors d’une procédure judiciaire.

Frank c. Canada (Procureur général)
Informations supplémentaires
- Voir le texte intégral de la décision
- Date : 11 janvier 2019
- Citation neutre : 2019 CSC 1
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Décompte de la décision :
- Majorité : le juge en chef Richard Wagner a accueilli l’appel (avec l’accord des juges Moldaver, Karakatsanis et Gascon)
- Concordance : le juge Malcolm Rowe a affirmé que les exigences relatives à la résidence auraient pu être constitutionnelles dans d’autres circonstances, mais aurait aussi accueilli l’appel
- Dissidence : les juges Suzanne Côté et Russell Brown ont conclu que la règle était justifiée en vertu de l’article premier de la Charte, et auraient rejeté l’appel
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignement sur le dossier (36645)
- Diffusion Web de l'audience (36645)
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Décisions des tribunaux inférieurs :
- Demande fondée sur la Charte (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (en anglais seulement)
- Jugement en appel (Cour d’appel de l’Ontario) (en anglais seulement)
Sommaire de la Cause
La Cour suprême a statué que la règle empêchant les citoyens de voter à une élection fédérale s’ils vivent à l’extérieur du Canada depuis plus de cinq ans est inconstitutionnelle.
La Loi électorale du Canada énonce les règles relatives aux élections fédérales au Canada. Elle prévoit qui peut voter et la façon dont se déroulent les élections, tout en assurant l’équité du processus électoral. Selon la Loi, tout citoyen âgé de 18 ans ou plus peut voter s’il vit habituellement au Canada.
Une des règles se trouvant dans la Loi a été contestée dans la présente affaire. Cette règle prévoyait que les citoyens qui vivaient à l’étranger depuis moins de cinq ans, et qui avaient l’intention de revenir au Canada, pouvaient également voter aux élections fédérales. Les citoyens qui vivaient à l’étranger depuis plus de cinq ans ne pouvaient généralement pas voter. (Il existait certaines exceptions, notamment pour les militaires et les employés du gouvernement en poste dans d’autres pays.)
Plus d’un million de citoyens canadiens vivant à l’étranger n’ont pas pu voter en raison de cette règle. Parmi ceux-ci, nombreux étaient ceux qui avaient de solides liens familiaux, professionnels et sociaux avec le Canada. Certains recevaient une pension du Canada ou payaient des impôts au Canada. Une grande partie de ceux-ci ne pouvaient pas voter ailleurs dans le monde.
Deux citoyens canadiens, MM. Frank et Duong, n’ont pas pu voter à l’élection fédérale canadienne de 2011 parce qu’ils vivaient à l’extérieur du Canada depuis plus de cinq ans. Tous deux avaient des liens solides avec le Canada et espéraient y revenir s’ils trouvaient un emploi convenable.
MM. Duong et Frank ont contesté la règle qui les empêchait de voter. Selon eux, cette règle contrevenait à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu’elle les privait de leur droit de voter, et qu’elle était donc inconstitutionnelle. L’article 3 prévoit (en partie) que tous les citoyens canadiens ont le droit de voter à une élection fédérale.
Le procureur général, au nom du gouvernement fédéral, a reconnu que la règle contrevenait à l’article 3. Cependant, les atteintes aux droits garantis par la Charte peuvent être permises dans certaines situations. L’article premier de la Charte prévoit que certains droits peuvent être limités, mais seulement si la limite est raisonnable et qu’elle peut être justifiée dans une société libre et démocratique. Le procureur général a soutenu que la règle était raisonnable et justifiée en vertu de l’article premier.
Le premier juge qui a instruit l’affaire a conclu que la règle limitant le droit de vote n’était pas justifiée. La Cour d’appel n’était pas de cet avis et a déclaré que la règle était constitutionnelle.
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont affirmé que la règle violait l’article 3 et que cette violation n’était pas justifiée par l’article premier; ils ont donc annulé la règle. Selon les juges majoritaires, les citoyens canadiens devraient pouvoir voter aux élections fédérales même s’ils vivent à l’étranger depuis plus de cinq ans. Ceux-ci ont souligné que l’article 3 ne comporte aucune mention de la résidence. Dans notre système, la résidence aide à établir où les gens peuvent voter, mais pas s’ils peuvent voter.
Lorsqueles tribunaux doivent décider si une loi qui contrevient à la Charte est justifiée en vertu de l’article premier, ils doivent d’abord se demander si la loi a un « objectif urgent et réel » (un objectif important). Dans l’affirmative, ils doivent ensuite examiner si celui-ci est « proportionné » (c’est-à-dire s’il y a un juste équilibre entre l’objectif de la loi et la façon dont cet objectif est atteint). Dans la présente affaire, les juges majoritaires ont affirmé que l’équité pour les électeurs vivant au Canada et l’équité lors des élections étaient des objectifs importants. Toutefois, ils ont affirmé que la règle n’était pas un moyen proportionné d’y parvenir. Pour qu’une règle soit proportionnée, elle doit respecter trois critères. Premièrement, elle doit avoir un lien rationnel (ou logique) avec l’objectif du Parlement. Deuxièmement, elle doit limiter le droit garanti par la Charte aussi peu que possible. Troisièmement, elle doit établir un juste équilibre entre les bons et les mauvais effets. Dans la présente affaire, aucune preuve n’indique qu’une personne s’est déjà plainte au sujet du vote de non-résidents, alors la règle ne semblait pas avoir de lien rationnel avec l’objectif relatif à l’équité des élections. Cependant, les juges majoritaires n’avaient pas à trancher cette question en particulier, car la règle ne respectait pas les deux autres critères. Elle portait atteinte aux droits des citoyens dans une mesure plus que nécessaire car elle était large au point de priver du droit de vote des personnes ayant des liens solides avec le Canada (malgré une longue absence). Cela n’appuyait pas l’objectif d’équité électorale. Enfin, selon les juges majoritaires, les effets néfastes de la règle l’emportaient sur les effets positifs.
La décision confirme que le droit de vote est un important droit démocratique fondamental, et non un simple privilège. Cela signifie que le Parlement ne peut le limiter aisément. Les parties de la Loi électorale du Canada qui limitent les droits de vote des citoyens non résidents ne sont plus en vigueur.