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La Cause en bref

Les Causes en bref sont des courts résumés en langage simple des décisions rendues par écrit par la Cour. Ils sont préparés par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada. Ils ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et ils ne doivent pas être utilisés lors d’une procédure judiciaire.


Édifice de la Cour suprême du Canada

Brunette c. Legault Joly Thiffault

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Sommaire de la Cause

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Les actionnaires ne peuvent généralement pas intenter de poursuite lorsqu’une société subit des dommages entraînant une perte de valeur de leurs actions, confirme la Cour suprême.

L’affaire portait sur une structure commerciale complexe. MM. Brunette et Maynard géraient une fiducie, laquelle ne possédait qu’une seule chose : 100 % des actions d’une société de portefeuille (une société créée pour détenir des actions dans d’autres sociétés). Cette société de portefeuille possédait des actions dans des sociétés connues sous le nom de Groupe Melior, lequel détenait et exploitait des résidences pour personnes âgées. En 2009, la plupart de ces sociétés ont fait faillite après avoir reçu des relevés d’imposition imprévus. Ces faillites ont également entraîné la faillite de la société de portefeuille. Ne possédant que les actions dans la société de portefeuille, la fiducie avait maintenant perdu toute valeur.

La structure commerciale du Groupe Melior a été établie sur les conseils d’avocats et de comptables. MM. Brunette et Maynard ont prétendu que ces derniers n’avaient pas bien fait leur travail. C’est ce qui, à leur avis, a entraîné les relevés d’imposition inattendus, lesquels ont causé les faillites ayant mené à la perte totale de valeur de la fiducie. Ils ont également soutenu que les avocats et les comptables étaient censés informer immédiatement la fiducie des problèmes possibles en ce qui a trait à la structure fiscale, mais qu’ils ne l’avaient pas fait. MM. Brunette et Maynard ont, au nom de la fiducie, intenté une poursuite de 55 millions de dollars contre les avocats et les comptables.

La question principale en litige était de savoir si la fiducie, représentée par MM. Brunette et Maynard, pouvait poursuivre les comptables et les avocats. Avant le procès, ces derniers ont demandé au tribunal de rejeter la poursuite, soutenant que MM. Brunette et Maynard n’avaient manifestement aucun « intérêt » pour intenter celle‑ci. En droit, une personne a un intérêt si la question la touche de façon personnelle et directe. C’est une condition essentielle pour qu’un juge puisse entendre sa demande en justice. Si elle croit que l’auteur de la poursuite n’a manifestement aucun intérêt, la personne poursuivie peut demander au juge le rejet de la poursuite avant la tenue du procès. Cela permet de s’assurer que les tribunaux ne perdent pas de temps et de ressources sur des affaires qui n’ont aucune chance de succès. En l’espèce, il s’agissait de savoir si la fiducie avait un intérêt suffisant pour que l’affaire soit instruite.

Le problème de la demande tenait à ce que la fiducie n’était qu’une actionnaire des sociétés ayant fait faillite. Suivant les règles de droit civil québécois, ainsi que les règles de common law utilisées ailleurs au Canada, les actionnaires ne peuvent généralement pas intenter de poursuite pour les dommages causés à une société dans laquelle ils détiennent des actions. Cela est particulièrement vrai lorsque les dommages entraînent une perte de valeur de leurs actions. Seule la société a le droit d’intenter une poursuite. Il en est ainsi notamment parce qu’en droit, lorsqu’un dommage est causé à une société, les actionnaires ne subissent qu’un dommage indirect. Suivant le Code civil du Québec, seul un dommage direct peut être invoqué en justice. Les actionnaires ne peuvent intenter une poursuite que lorsque l’auteur de la faute a envers eux une obligation légale distincte de celle qu’il a envers la société et qu’un dommage distinct leur est causé. Pour décider si la fiducie avait un intérêt qui lui donnait le droit d’intenter une poursuite, le tribunal devait déterminer si les avocats et les comptables avaient envers elle une obligation distincte, et lui avaient causé un dommage distinct et direct.

Tant la juge de première instance que la Cour d’appel ont conclu que la fiducie ne pouvait pas intenter de poursuite.

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont souscrit à l’opinion des tribunaux inférieurs. Selon eux, les sociétés du Groupe Melior ont subi un dommage direct, ce qui n’est pas le cas pour la fiducie. Les avocats et les comptables n’avaient pas, envers la fiducie, une obligation d’information et de conseil au sujet de la structure fiscale du Groupe Melior. De plus, la perte subie par la fiducie était la même que celle subie par les sociétés du Groupe Melior (la valeur des résidences pour personnes âgées). Il s’agissait exactement du même dommage, ce qui signifiait que celui‑ci ne pouvait pas être invoqué par les actionnaires et qu’il ne pouvait l’être que par les sociétés. Les juges majoritaires ont souligné que la structure commerciale visait à empêcher que la fiducie ait à payer les dettes du Groupe Melior. Mais cela signifiait aussi qu’elle ne pouvait pas exercer le droit d’action des sociétés.

L’affaire provenait du Québec, province utilisant le droit civil. Les deux systèmes appliquent des règles différentes pour régler des problèmes juridiques. Comme ils sont différents, ils ne mènent pas toujours au même résultat, mais il arrive souvent, comme en l’espèce, que celui‑ci soit le même.

Date de modification : 2018-12-07