La médecine et le droit : les défis de la maladie mentale
Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
On m’a invitée à prononcer cette conférence en l’honneur de feu le juge Michael O’Byrne. C’est un plaisir et un honneur. J’ai fait la connaissance du juge O’Byrne il y a de nombreuses années, lorsque d’une manière hésitante je commençais à exercer le droit à Edmonton (Alberta). C’était un juge sage et respecté; nous étions toujours contents lorsque nous avions la chance de plaider devant lui. Les conférences organisées en l’honneur du juge O’Byrne témoignent de son intérêt pour la collectivité en général, et plus particulièrement pour les soins de santé – considérés à travers le prisme de la profession qu’il avait choisie, le droit. Rien ne lui serait plus agréable, j’en suis convaincue, que de voir se poursuivre le dialogue et la discussion sur des thèmes qui touchent à la fois l’univers du droit et celui de la santé.
J’aimerais aujourd’hui proposer quelques réflexions sur une question relevant du droit et de la médecine qui, si ancienne soit-elle, n’en demeure pas moins toujours pertinente; qui se pose couramment mais qui est très particulière; qui est bien connue, mais que trop souvent on trouve le moyen de ne pas aborder. Il s’agit des rapports entre la santé mentale et le droit – ou plus exactement de la pléthore de questions que suscitent ces rapports.
J’exposerai tout d’abord certains faits qui démontrent l’importance des rapports entre santé mentale et droit. Je commencerai par une anecdote. Il y a quelques années, je participais à un dîner à Rideau Hall en l’honneur des récipiendaires de l’Ordre du Canada. Mon voisin de table était un chef de police en charge d’un poste du centre-ville de Toronto, dans un secteur frappé par la pauvreté et la criminalité.
«Quel est le plus grand problème auquel vous faites face?» ai-je demandé au policier.
Je pensais bien qu’il allait me parler de toutes ces décisions, fondées sur la Charte et favorisant la défense, que la Cour suprême du Canada rendait régulièrement à l’époque. Mais sa réponse m’a surprise.
«Notre plus grand problème», m’a-t-il confié, «c’est la maladie mentale».
Il m’a alors expliqué qu’une forte proportion des personnes arrêtées et conduites à son poste n’étaient pas de vrais «criminels», mais des personnes atteintes de maladie mentale. Des gens qui avaient commis une infraction – habituellement mineure mais parfois plus sérieuse – en raison d’un état de confusion imputable à des troubles mentaux. Leur esprit dérangé avait pu les amener à se sentir à tort lésés et à commettre une agression. Ou une impulsion irrationnelle les avait poussés à voler, dans un magasin, un article dont ils n’avaient nul besoin. Peut-être encore leur état de confusion les avait-il simplement fait se trouver au mauvais endroit au mauvais moment et être mêlés à une violente dispute. Ou bien, en proie à une hallucination terrifiante, ils s’étaient mis à pousser des cris ou à troubler l’ordre public, au point où il avait fallu les arrêter.
Mais quelle que soit la raison, un grand nombre de ces personnes, m’a confié mon voisin, étaient amenées au poste de police chaque nuit. Et, une fois qu’elles s’y trouvaient, d’autres problèmes surgissaient. Les formalités policières habituelles n’étaient pas adaptées à leur situation. Que peuvent faire des policiers, qui ne sont ni des médecins ni des infirmiers, devant des manifestations continues d’aliénation mentale? Comment lire ses droits à une personne incapable d’écouter quoi que ce soit ou de comprendre la situation dans laquelle elle se trouve? Comment faire pour lui trouver un avocat, organiser sa comparution devant un juge? Au bout du compte, lorsque l’incident à l’origine de l’arrestation est sans réelle gravité, tout ce qu’on peut faire dans bien des cas, c’est garder pendant quelques heures la personne atteinte de troubles mentaux puis la remettre dans la rue. Où elle finira par se faire arrêter de nouveau…
Nous n’aimons guère parler de la maladie mentale. Pourtant, comme le montre le témoignage de ce policier, il s’agit d’un problème d’une ampleur considérable. Selon un rapport de Santé Canada daté de 2002, environ 20 % des gens seront atteints de troubles mentaux quelconques pendant leur vie. Et, bien sûr, les 80 % qui restent seront indirectement touchés par la maladie mentale qui frappe des membres de leur famille, des amis, des collègues. D’après les statistiques, une personne sur cent est atteinte de schizophrénie. La maladie se déclenche normalement vers l’âge de 19 ou 20 ans chez les hommes, un peu plus tard chez les femmes. On sait que 1 % des adultes sont atteints de troubles bipolaires et que 8 % connaîtront une dépression sévère dans le cours de leur vie. D’autres troubles mentaux sont encore plus communs. Ainsi, les troubles anxieux frappent 12 % de la population, et des données américaines indiquent que de 6 % à 9 % de la population présente des troubles de la personnalité. Certains de ces troubles sont extrêmement répandus parmi les personnes ayant affaire au système de justice criminelle. On estime ainsi que près de 50 % des prisonniers présentent des troubles de personnalité anti-sociale – souvent assimilés à une psychopathie Note de bas de page 1.
Les faits sont donc clairs. La maladie mentale est un énorme problème, qui n’est que trop répandu. Elle sape notre société et notre économie. Elle touche des gens de tous les milieux, de toutes les classes sociales. Elle ne fait acception de personne. Et, davantage peut-être que tout autre problème de santé, elle interpelle le système de droit de diverses façons.
L’incidence la plus visible de la maladie mentale sur le droit – et du droit sur la maladie mentale – concerne le domaine du droit criminel, dont je parlais il y a un moment. Mais la maladie mentale soulève aussi d’épineux problèmes de droit civil, relatifs à l’incapacité et au consentement au traitement. J’aimerais aujourd’hui discuter de ces problèmes avec vous. Comme nous le verrons, alors que le droit faisait jadis comme si la maladie mentale n’existait pas, il s’intéresse aujourd’hui résolument aux problèmes qu’elle suscite. Nous sommes au début d’un chapitre essentiel et fascinant de la longue histoire des rapports entre la médecine et le droit, un chapitre qui fait intervenir les grands questionnements philosophiques du droit. On ne saurait en effet s’intéresser sérieusement aux problèmes de la santé mentale sans affronter les grandes questions. Dans quels cas est-il juste d’imputer à une personne la responsabilité d’actes criminels? La loi peut-elle restreindre le droit de refuser l’hospitalisation et le traitement médical et, dans l’affirmative, où se situent les limites? Dans quelle mesure la famille et la société ont-elles le droit d’imposer un traitement? Et quelle obligation avons-nous, nous les bien portants, envers nos frères et sœurs qui n’ont pas cette chance?
Avant d’aborder ces questions, une brève rétrospective s’impose toutefois. Le droit, comme je l’indiquais il y a un instant, n’a pas toujours porté un grand intérêt à la maladie mentale. Alors qu’un bref survol historique permet de constater que, comme la guerre et la pauvreté, la maladie mentale a toujours fait partie de la condition humaine, l’histoire du droit, elle, ne témoigne pas d’une préoccupation parallèle à l’égard des droits et des responsabilités du malade mental et de la société à son égard. Jusqu’au XIXe siècle, en fait, on associait la maladie mentale au Mal. Le malade mental était possédé par le démon ou par des esprits maléfiques. C’était un sorcier ou une sorcière, habité par Satan et exécuteur de ses basses œuvres. Le malade mental était, à tout le moins, un modèle déviant et inférieur de l’espèce humaine à qui Dieu, dans Sa grande sagesse, avait décidé de ne pas attribuer des facultés mentales normales. Bref, la maladie mentale était dans une large mesure une affaire de religion, dont le droit et la médecine pouvaient sans problème ne tenir aucun compte. À une exception près : lorsque la personne atteinte de maladie mentale ou «différente» était considérée comme une menace pour la collectivité, il était possible de se débarrasser d’elle en invoquant le droit.
Il est difficile de tirer des conclusions sur la façon dont le droit envisageait le malade mental en raison de l’absence de documents et de diagnostics. Il est difficile aussi de dire avec une certitude scientifique si telle ou telle personne que le droit a choisi de condamner à l’exécution était atteinte de maladie mentale. Nous savons par contre que, du moyen âge au XIXe siècle, des personnes n’ayant rien fait de mal ni enfreint aucune loi ont été jugées et punies, parfois de la peine de mort, simplement parce qu’elles étaient différentes ou étranges. Nous savons également que des personnes considérées comme différentes ou étranges dans notre société sont souvent atteintes d’une forme identifiable de maladie mentale. Nous pouvons donc raisonnablement présumer qu’au moins une partie de ceux et celles qui ont été exécutés à titre de sorciers ou de déviants spirituels étaient des malades mentaux.
Pensons à la façon dont Jeanne d’Arc a été traitée par le droit. Je ne veux pas dire que Jeanne d’Arc était atteinte de troubles mentaux. Cela, il est parfaitement impossible de le savoir. Mais une chose est certaine : à l’aune des normes de son époque comme de la nôtre, elle était étrange. Elle avait des visions, elle entendait des voix. Elle se sentait contrainte d’obéir à ce que lui dictaient ces voix. Et cela l’a amenée à agir d’une manière impensable, à l’époque, pour une femme. Mue par ses voix et ses visions, elle a convaincu le dauphin de France de lui confier une armée, qu’elle a menée à la victoire contre l’oppresseur anglais. Elle est devenue une grande héroïne, et même une sainte aux yeux de beaucoup. Mais son comportement étrange, même en des temps où l’on considérait les visions comme des manifestations religieuses, ne pouvait demeurer impuni. C’est ainsi que furent convoqués la médecine et le droit.
Le volet médical de l’enquête reposait sur l’idée qu’une femme chaste n’aurait pu se comporter comme Jeanne l’avait fait. Si elle s’était mêlée aux soldats, c’était donc forcément pour assouvir ses envies charnelles. On a soumis Jeanne à de multiples examens gynécologiques effectués par des femmes de la noblesse (l’équivalent des médecins d’aujourd’hui, pour la santé des femmes) afin de vérifier si elle était véritablement vierge. Apparemment, elle a passé cette épreuve avec succès.
La condamnation par la voie de la médecine ayant échoué, on a eu recours à l’artillerie lourde du droit. Jeanne d’Arc a été inculpée de sorcellerie et a dû subir un procès. La lettre de la loi a été très exactement suivie : le procès s’est déroulé dans le plus parfait respect du droit et de la procédure. Les débats ont duré longtemps et ont été consignés, ce qui n’était pas la coutume à l’époque. Jeanne d’Arc a courageusement élaboré sa défense. Et pourtant, bien que nul ne fût parvenu à prouver qu’elle avait violé une quelconque loi ni lésé quiconque, sauf les Anglais – ce qui était permis – elle a été condamnée à mourir sur le bûcher.
Indépendamment de la question de savoir si Jeanne d’Arc souffrait d’une maladie mentale ou si elle était simplement une femme à l’ardeur impétueuse, son histoire est très révélatrice de la façon dont le droit et la médecine du XVe siècle répondaient à d’apparente aberrations mentales. Tout écart par rapport aux comportements et aux attitudes mentales ordinaires était considéré comme fondamentalement mauvais. Le rôle de la médecine, lorsqu’on daignait la convoquer, était de trouver les raisons physiologiques de la déviance. Celui du droit, de vérifier l’existence de la déviance et de la punir.
La révolution scientifique, lancée au XVIIIe siècle et qui fleurira aux XIXe et XXe siècles, allait susciter un nouveau regard sur la maladie mentale. L’ancienne notion selon laquelle celle-ci émanait du démon ou de Dieu a peu à peu été remplacée par une recherche scientifique sur les causes du phénomène. À l’idée que la maladie mentale était dans une certaine mesure la faute de la personne qui en était atteinte, se substituera la reconnaissance du fait que l’aberration et le dysfonctionnement mentaux sont, à l’instar de l’aberration et du dysfonctionnement physiques, des maladies. Étant donné l’état rudimentaire des connaissances sur le cerveau, de la pharmacologie et de la psychiatrie, on ne pouvait habituellement pas faire grand-chose pour améliorer l’état du patient. La solution au problème médical et à la menace que les malades mentaux, pensait-on, représentaient pour la société, consistait à créer des établissements psychiatriques où l’on pourrait enfermer ces personnes.
La solution de l’établissement spécialisé était parfaitement adaptée à son époque – quoique qu’elle ne fût pas nécessairement idéale pour les malades condamnés à passer leur vie dans une quasi-prison. Mais malgré la nouvelle approche scientifique privilégiée à l’égard de la maladie mentale dans les milieux éclairés, l’opprobre social demeurait. Deux œuvres littéraires nous permettent de nous faire une idée de l’attitude victorienne face à la maladie mentale.
La première est le grand roman de Charlotte Bronte, Jane Eyre. Tout le monde connaît l’intrigue. Jane, une jeune femme pauvre, devient la gouvernante d’une fillette dans une maison de campagne isolée du Yorkshire. Son employeur, Mr. Rochester, est un homme austère et perturbé. Dès le départ, un mystère imprègne l’action : Où est donc la mère de la fillette? De qui émane ce rire angoissant que Jane entend la nuit? La clé de l’énigme est livrée dans le dernier épisode du roman. Mr. Rochester est marié à Bertha Mason, une folle enfermée au grenier qui, dans un acte ultime de démence, mettra le feu à la maison et périra dans l’incendie. Ce qui est remarquable, pour le lecteur d’aujourd’hui, c’est la totale absence de sympathie envers cette femme atteinte de maladie mentale. Elle est la méchante de l’histoire, et l’auteure amène son lecteur à éprouver un grand soulagement – voire un sentiment de justice – lorsqu’elle meurt enfin. Car si, officiellement, Mrs. Rochester est atteinte de maladie mentale, l’opprobre des siècles précédents hante chaque aspect du roman. Elle est sinistre, elle est mauvaise et c’est à très juste titre qu’on l’a enfermée et isolée de la collectivité. Son mari, lui, est un saint et un martyr, qui l’a gardée près de lui. Ce n’est pas par la voie judiciaire que sera scellé le destin de cette femme, comme dans le cas de Jeanne d’Arc, mais bien par son propre acte de folie. Le régime juridique liant irrévocablement un homme à une telle femme est tout de même implicitement condamné, tout comme est cautionnée la règle de droit qui l’autorise à l’enfermer.
Une autre œuvre littéraire donne un aperçu plus positif de l’attitude victorienne à l’égard de la maladie mentale. Il y a quelques années, Le Fou et le professeur, de Simon Winchester, remportait un vif succès. Le livre raconte l’histoire vraie d’un médecin américain qui avait fait une dépression mentale après avoir servi en qualité de médecin durant la guerre de sécession. Notre héros, le Dr William Minor, était issu de la haute société de la Nouvelle-Angleterre. Diplômé de Yale, totalement voué à la carrière qu’il avait choisie, tous les espoirs semblaient permis pour son avenir. Lorsque, soudainement et d’une façon totalement inattendue, il est frappé de schizophrénie, sa famille l’aide à obtenir les meilleurs traitements disponibles. Après plusieurs séjours dans divers établissements psychiatriques aux États-Unis, il gagne l’Angleterre où, en proie à un délire paranoïde, il tue un ouvrier qui, croyait-il, préparait son assassinat. Inculpé de meurtre et acquitté pour cause d’aliénation mentale, le Dr Minor est interné à Broadmoor, un asile d’aliénés nouvellement construit, où il sera bien traité. Après quelque temps, on lui donne des locaux assez agréables où il monte une bibliothèque remarquable. Il ne guérira jamais. Les décennies pendant lesquelles il est interné sont ponctuées par quelques incidents violents. Le dernier, au cours duquel il se tranche le pénis, marque le début de son ultime déclin. Il jouissait malgré tout d’une certaine liberté et on l’a encouragé à s’adonner à des travaux d’érudition. Lorsque les promoteurs d’un dictionnaire exhaustif de la langue anglaise passent des annonces pour trouver des gens disposés à travailler aux définitions de certains termes, il se manifeste. Depuis sa chambre à Broadmoor, il deviendra l’un des principaux collaborateurs de ce prestigieux ouvrage qu’est le Oxford Dictionary of the English Language. Il était interné, c’est vrai. Mais cet internement, contrairement à celui de Mrs. Rochester, respectait sa dignité humaine et sa capacité de contribuer à la société et de vivre véritablement, malgré sa maladie mentale.
Le modèle de l’internement (avec les valeurs, bonnes et mauvaises, qui ont assuré sa perpétuation) a été adopté au Canada, où il est resté la principale façon de traiter la maladie mentale jusque dans la dernière partie du XXe siècle. Confier les personnes atteintes de troubles mentaux à des établissements psychiatriques, c’était la façon normale d’agir à l’égard de la maladie mentale. Souvent, des gens passaient toute leur vie adulte en hôpital psychiatrique, oubliés de leur famille et ne bénéficiant d’aucun programme d’examen périodique. La maladie mentale était encore une grande source d’opprobre, comme en témoignent divers termes employés, dans la langue populaire, pour désigner les établissements psychiatriques (ou les asiles, comme on les appelait alors) – «maison de fous», par exemple.
Sans prétendre que les malades ne recevaient ni soins ni traitements, force est de reconnaître les côtés sombres du paradigme de l’internement. Des gens étaient quelquefois enfermés sans motif valable. Ainsi, à une époque où le divorce ne constituait pas encore une solution pratique ou acceptable en cas de mariage raté, il arrivait que des femmes perturbées, mais par ailleurs saines d’esprit, soient enfermées dans des hôpitaux psychiatriques en vertu d’ordonnances judiciaires obtenues par leur mari grâce à une preuve par affidavit fournie par un médecin complaisant. D’ailleurs, une des premières affaires sur lesquelles j’ai travaillé lors de mon stage à Edmonton a commencé par le coup de fil de l’épouse d’un professeur de l’université de l’Alberta, que son mari avait fait interner dans un établissement psychiatrique pour de faux motifs. Nous avons rapidement obtenu une ordonnance pour lui faire obtenir son congé, et nous avons demandé le divorce. Cette femme a été ma cliente pendant près d’une année. Elle était parfaitement saine d’esprit, rationnelle, et l’une des clientes les plus raisonnables que j’aie jamais eues dans le domaine du divorce. Combien d’autres femmes, me suis-je alors demandé, ont subi un traitement semblable au fil des ans? Combien n’ont pas été suffisamment chanceuses ou déterminées pour retrouver leur liberté?
Même lorsque des personnes atteintes d’aliénation mentale étaient internées pour des raisons valables, elles étaient parfois victimes de mauvais traitements. On considère maintenant que l’utilisation courante des électrochocs dans les années 1950 et 1960 était souvent abusive. Et dans les années 1920 et 1930, les lois de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et de nombreux États américains prévoyaient la stérilisation forcée des personnes considérées comme atteintes de déficience mentale et internées Note de bas de page 2. Certains tribunaux ont du reste expressément cautionné les principes eugéniques à la base de ces textes législatifs. Par exemple, dans l’infâme décision rendue en 1927 dans l’affaire Buck c. Bell, la Cour suprême des États-Unis a confirmé la validité constitutionnelle d’une loi de la Virginie autorisant la stérilisation des «déficients mentaux» Note de bas de page 3. Dans cet arrêt, le juge Holmes, très respecté par ailleurs, a écrit ces mots saisissants : [traduction] «Trois générations d’imbéciles, c’est assez» Note de bas de page 4. Voilà un autre cas où le droit a été utilisé, non pour venir en aide aux personnes atteintes de troubles mentaux, mais bien pour les opprimer.
La loi albertaine intitulée_ Sexual Sterilization Act _a été abrogée en 1972 Note de bas de page 5. Quelque 2 800 stérilisations ont été pratiquées pendant qu’elle était en vigueur Note de bas de page 6. Or nous savons maintenant que cette loi a été appliquée d’une manière discriminatoire et qu’elle a eu une incidence disproportionnée sur des groupes défavorisés, dont les femmes et les personnes appartenant à des minorités ethniques Note de bas de page 7. Nous savons également que, non seulement ce texte était mal inspiré et était basé sur de fausses données scientifiques, mais qu’à de nombreuses reprises les stérilisations ont été effectuées sans même respecter les exigences fondamentales de la loi.
Prenons par exemple le cas tragique de Leilani Muir. En 1955, à l’âge de 10 ans, Mme Muir est envoyée dans un centre d’éducation surveillée pour déficients mentaux. Même si elle est dotée d’une intelligence normale, on lui inflige à l’âge de 14 ans une stérilisation chirurgicale irréversible, présentée comme une appendicectomie. La stérilité imposée à Mme Muir a eu des conséquences dévastatrices sur sa vie. Dans les années 1990, elle intente une action contre le gouvernement de l’Alberta pour la stérilisation et l’internement qu’on lui a fait subir. Elle aura finalement gain de cause devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et touchera une somme de 740 780 $ en dommages-intérêts compensatoires et exemplaires Note de bas de page 8. Par la suite, des recours collectifs seront intentés au nom d’autres personnes ayant été stérilisées en vertu de la loi albertaine. À la fin des années 1990, le gouvernement de l’Alberta a accepté, dans le cadre d’un règlement à l’amiable, de verser aux victimes une somme globale d’environ 142 millions $ Note de bas de page 9.
Dans les années 1960 et 1970 prend forme une opposition au modèle de l’internement comme traitement de la maladie mentale, alimentée par la réaction du public contre les abus mis au jour. Cette opposition est aussi favorisée par une meilleure compréhension des causes de diverses affections mentales et de leurs traitements. On réussit à établir un lien entre des maladies comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires et des modifications chimiques dans le cerveau, ce qui contribue à dissiper l’idée médiévale persistante voyant dans la maladie mentale une manifestation du Mal. Dans le même temps, la mise au point de nouveaux médicaments prometteurs permet de soulager les symptômes de ces maladies et d’aider les victimes à mener une vie plus normale.
C’est ainsi qu’on en vient à ne plus recourir systématiquement à l’internement des malades mentaux. Peu à peu, on voit disparaître ces énormes établissements abritant des milliers de patients, établis à l’écart des villes et opportunément soustraits à la vue du public. On construit de nouveaux hôpitaux à l’intention des cas les plus sérieux, souvent dans un centre urbain ou à proximité. Bon nombre des patients jusque-là gardés dans des asiles réintègrent la société grâce à la médication.
Bien que nécessaire, la désinstitutionnalisation rapide des patients psychiatriques opérée dans les années 70 et 80 a engendré de nouveaux problèmes. Bon nombre de patients n’étaient pas bien préparés à réintégrer la collectivité. Et les médicaments avaient souvent des effets secondaires désagréables. Privés d’un suivi adéquat, les patients arrêtaient dans trop de cas de les prendre. Le résultat? Des personnes psychotiques errant dans les rues, sans espoir et sans recevoir les soins requis par leur état. Est-ce vraiment là une amélioration par rapport à l’internement, se sont alors demandé bien des gens?
Nous sommes encore aux prises avec les problèmes découlant de la désinstitutionnalisation – le type de problèmes qui a amené le chef de police dont je parlais au début à dire que la maladie mentale était la source des plus grandes difficultés auxquelles il faisait face. Les centre-villes de nos grandes agglomérations comptent des milliers de sans-abri, hommes et femmes, dont une bonne proportion présentent des troubles mentaux. C’est un autre cas où la maladie mentale pose un défi au droit. Alors qu’auparavant la loi prévoyait le placement de ces personnes dans des établissements psychiatriques, aujourd’hui elle doit gérer leur présence dans la société. Alors qu’auparavant la solution légale à la maladie mentale était simple, aujourd’hui elle s’avère complexe, difficile et surtout coûteuse. Les médicaments, les logements décents, les établissements hospitaliers, les psychiatres, tout cela coûte de l’argent. Et vu les innombrables pressions qui s’exercent sur les budgets de la santé publique, il n’est que trop facile de négliger les besoins des malades mentaux, qui vivent encore en marge de la société.
Tous ces facteurs ont des incidences sur le droit, tant civil que pénal, sujet que je vais maintenant aborder.
Le droit pénal
En général, pour faire déclarer une personne coupable d’un crime, la poursuite doit établir deux éléments : (1) l’acte criminel et (2) l’intention coupable. Or le second élément pose des problèmes dans le cas d’un crime commis sous l’empire d’une maladie mentale. Il se peut que l’auteur ne soit pas doté des facultés mentales nécessaires pour qu’on puisse conclure à l’existence d’une intention coupable. Pour formuler ce dilemme en termes philosophiques généraux, comment le droit pourrait-il tenir pour responsable de son acte criminel une personne dont l’esprit, en raison d’une maladie mentale, est incapable de fonctionner normalement, de prendre une décision? N’est-il pas vrai que les notions de responsabilité criminelle et de châtiment ne sauraient entrer en jeu que si «l’acteur est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal» Note de bas de page 10?
Les premières élaborations de la défense d’aliénation mentale étaient formulées en termes relativement étroits. La définition qui a prédominé pendant plus d’un siècle – et dont l’influence se fait toujours sentir sur le droit pénal – a été établie dans l’affaire M’Naghten Note de bas de page 11. Selon toute évidence, Daniel M’Naghten était en proie à un délire de persécution et avait une maladie mentale. Il croyait que son principal persécuteur était le premier ministre d’Angleterre, sir Robert Peel. M’Naghten se rendit donc à Londres avec l’intention d’assassiner Peel à l’occasion d’un défilé. Mais son plan échoua du fait que, la reine Victoria étant absente, Peel prit place dans la voiture royale. Le véhicule de Peel était occupé par son secrétaire, Edward Drummond. Prenant ce dernier pour le premier ministre, M’Naghten tira sur Drummond et le tua. Accusé de meurtre, il fut déclaré non coupable pour cause d’aliénation mentale par le jury. Même si M’Naghten passa le reste de sa vie dans des établissements psychiatriques, le verdict suscita un tollé dans le Londres victorien.
Suite à cette affaire, la Chambre des lords soumit une série de questions relatives à la défense d’aliénation mentale aux juges d’Angleterre. Les réponses du lord juge en chef Tindal, s’exprimant au nom des 14 juges, sont appelées les «règles M’Naghten». Pour établir la défense d’aliénation mentale, indiqua le lord juge en chef Tindal, il faut prouver clairement «qu’au moment où l’acte a été accompli, l’accusé souffrait, due à une maladie mentale, d’une imperfection de la raison telle qu’il ignorait la nature et la qualité de l’acte par lui accompli ou, s’il les connaissait, telle qu’il ignorait que ce qu’il faisait était mauvais Note de bas de page 12.»
On peut reprocher une chose aux règles M’Naghten : interprétées d’une manière stricte, elles créent à l’égard de l’aliénation mentale un critère de nature purement cognitive qui exclut les autres états mentaux susceptibles d’empêcher l’existence d’une intention coupable. Par exemple, le schizophrène qui commet un crime peut agir sous l’emprise d’idées délirantes, chercher à se défendre – ou à défendre le monde – contre une menace quelconque. Même s’il est par ailleurs capable de comprendre rationnellement son acte, ces idées délirantes peuvent, pour lui, conférer à cet acte un caractère vertueux plutôt que criminel.
Au Canada, la défense d’aliénation mentale ne se limite pas à un critère uniquement cognitif. Premièrement, selon notre droit, la personne atteinte de maladie mentale est exonérée de la responsabilité criminelle si elle est incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes. «Juger», ce n’est pas simplement «connaître». Suivant le critère appliqué au Canada, «la conscience émotionnelle, aussi bien qu’intellectuelle, de la conséquence de la conduite est en question Note de bas de page 13». Pour juger de la nature et de la qualité d’un acte, il faut à la fois connaître la qualité matérielle de cet acte et être capable d’en percevoir les conséquences, les répercussions et les résultats Note de bas de page 14.
La défense d’aliénation mentale comporte un second volet. La responsabilité criminelle suppose que l’accusé, en plus de juger de la nature et de la qualité de l’acte, soit capable de savoir que cet acte est «mauvais». À cet égard, il ne suffit pas que l’accusé sache qu’un acte donné est légalement mauvais; il doit être capable de savoir qu’il est mauvais selon les normes morales de la société Note de bas de page 15. Il ne s’agit pas d’examiner dans l’abstrait la capacité générale de distinguer le bien du mal, mais bien de se pencher sur le caractère moralement mauvais de l’acte en cause dans l’esprit de son auteur. L’accusé doit avoir non seulement la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait, mais aussi «la capacité d’appliquer rationnellement cette connaissance à l’acte criminel reproché Note de bas de page 16.» Ainsi, un accusé peut très bien comprendre que son acte causera la mort, et savoir que tuer est à la fois illégal et moralement mauvais. Mais si, en raison d’une maladie mentale, il est en proie à des idées délirantes et croit – pour reprendre mon exemple de tout à l’heure – que son acte vise à se défendre ou à protéger le monde d’un péril, il se peut qu’il soit incapable, dans les circonstances, de distinguer le bien du mal et soit de ce fait exonéré de la responsabilité criminelle.
Autrefois, lorsque la défense d’aliénation mentale était retenue, elle conduisait à un verdict de non culpabilité pour aliénation mentale. Le juge du procès ordonnait alors la détention de la personne «selon le bon plaisir» du lieutenant-gouverneur de la province. Ce système, couramment appelé système des mandats du lieutenant-gouverneur, entraînait la détention automatique des personnes acquittées pour cause d’aliénation mentale pendant une période parfois indéterminée, sans aucune audience et sans qu’on se demande si la personne en question constituait une menace pour la société.
En 1991, par suite d’une contestation constitutionnelle lancée par Owen Swain, la cour dont je fais partie a conclu à l’inconstitutionnalité de la détention automatique des personnes acquittées pour aliénation mentale Note de bas de page 17. M. Swain avait été déclaré non coupable pour cause d’aliénation mentale relativement à des accusations criminelles découlant d’agressions bizarres commises contre des membres de sa famille, apparemment afin les protéger contre des esprits malins. Swain a alors été détenu en vertu du système des mandats du lieutenant-gouverneur. Parce que la détention était imposée automatiquement, sans aucune audience ni application d’un quelconque critère ou norme, la majorité de la Cour suprême a conclu que le système en question portait atteinte au droit à la protection contre la détention arbitraire et au droit à la liberté, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
À la suite de l’arrêt Swain, le Parlement a substantiellement modifié les dispositions du Code criminel portant sur la maladie mentale. Par exemple, il n’est plus question de la défense d’aliénation mentale. Selon le nouveau régime, il est possible de déclarer une personne non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Le changement de termes indique que la maladie mentale peut avoir pour effet d’exonérer l’accusé de la responsabilité criminelle. Il signifie également que nous ne sommes plus placés, avec des personnes atteintes de maladie mentale, devant la simple alternative entre l’acquittement et la déclaration de culpabilité. Le droit nous offre maintenant une troisième possibilité, selon laquelle ces délinquants sont soumis à des règles particulières, qui répondent au double objectif de protéger le public et de les traiter d’une manière équitable et appropriée.
Les modifications de 1991 ont également mis un terme au système des mandats du lieutenant-gouverneur. Les accusés déclarés non responsables criminellement – ou NRC, pour faire bref – sont maintenant régis par la partie XX.1 du Code criminel. Avec le nouveau système, on ne présume plus qu’une personne déclarée non responsable criminellement est dangereuse et doit être détenue. On procède en effet à des évaluations individualisées et périodiques du cas de l’accusé NRC. Des commissions d’examen ont été mises sur pied dans chaque province. Le tribunal ou la commission d’examen qui examine la situation d’un accusé NRC a trois possibilités. Premièrement, si cette personne ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, la libération inconditionnelle doit être ordonnée. Celle-ci entraîne la remise en liberté de l’accusé NRC et sa sortie du système de justice criminelle. Si l’accusé NRC représente un risque important, le tribunal ou la commission d’examen doit choisir entre la libération sous réserve de certaines modalités et la détention dans un hôpital. Jusqu’à ce que la libération inconditionnelle ait été ordonnée, le cas de l’accusé NRC est examiné tous les 12 mois par la commission d’examen.
Pour rendre une décision, le tribunal ou la commission d’examen doit, en vertu du Code criminel, tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Le Code prévoit en outre que la décision doit être la moins sévère et la moins privative de liberté. Si le tribunal ou la commission d’examen est incapable de conclure que l’accusé NRC représente un risque important pour la sécurité du public, une libération inconditionnelle doit être ordonnée Note de bas de page 18.
Ce nouveau régime a résisté aux contestations fondées sur la Charte. Dans l’affaire Winko c. Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a jugé que le système respecte le droit à la liberté des accusés NRC, garanti par l’art. 7 de la Charte, ainsi que leur droit à l’égalité, protégé par l’art. 15 de la Charte Note de bas de page 19. Nous avons notamment conclu que le régime n’entrave pas la liberté d’un accusé NRC plus qu’il n’est nécessaire pour protéger la sécurité du public Note de bas de page 20. Et du fait que le nouveau régime instauré par le législateur ne présume pas la dangerosité et assure une évaluation et un traitement individualisés, il représente «le point de vue selon lequel l’accusé NRC a le droit de recevoir des soins attentifs, d’être réadapté, et de faire l’objet de tentatives valables en vue de sa participation à la société Note de bas de page 21». À cet égard, quoiqu’il réserve sans doute un traitement différent aux délinquants atteints de troubles mentaux, le système NRC respecte leur droit à une égalité fondamentale. En résumé, le régime instauré par la partie XX.1 du Code criminel assure un juste équilibre entre la nécessité de protéger le public contre les malades mentaux dangereux et les droits à la liberté, à l’autonomie et à la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux.
Le droit a donc connu une évolution marquée au cours des dernières années quant au sort réservé aux délinquants ayant une maladie mentale. On peut dire que les règles actuelles, axées sur la réinsertion, sont bien plus équitables et bien plus efficaces. Le régime est empreint de souplesse, et il est conçu de manière à répondre aux besoins du délinquant.
Un problème persiste, cependant : le manque d’établissements en mesure de fournir les soins appropriés. Les juges déplorent de ne pas avoir la possibilité de soumettre les délinquants atteints de maladie mentale aux évaluations prévues par le Code criminel en raison du manque de ressources hospitalières. Le problème est particulièrement aigu en Ontario, où ces personnes sont souvent détenues en prison en attendant qu’on leur trouve une place dans un hôpital pour une évaluation psychiatrique. Il n’est pas rare que cela entraîne l’emprisonnement d’individus accusés d’infractions relativement mineures qui, normalement, ne seraient jamais placés sous garde. Les conséquences sont parfois tragiques.
En novembre 2003, un malade mental est mort subitement dans une prison d’Ottawa pendant qu’il attendait une évaluation en raison d’une agression commise pendant un séjour dans l’aile psychiatrique d’un hôpital général local. On avait semble-t-il inculpé ce malheureux afin de faciliter son transfert dans un hôpital psychiatrique spécialisé. Le manque de lits a fait en sorte qu’un homme qui avait désespérément besoin de soins physiques et psychiatriques a été enfermé dans une cellule de la prison locale. Un jury du coroner qui s’est penché sur ce décès a recommandé récemment la suppression de la pratique consistant à détenir en prison des personnes atteintes de maladie mentale en attendant qu’elles fassent l’objet d’une évaluation Note de bas de page 22. Dans un autre cas survenu à Ottawa, un malade mental âgé de 45 ans qui avait été arrêté pour des infractions mineures a selon toute apparence été oublié par le système et a passé six mois en prison sans être conduit devant un tribunal et sans que son avocat ou les membres de sa famille aient été informés Note de bas de page 23.
Les tribunaux ontariens sont également intervenus à cet égard. En 2003, deux personnes ont contesté devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario la pratique consistant à garder des accusés en prison jusqu’à ce que des lits se libèrent dans des hôpitaux psychiatriques, en vue de l’évaluation. En novembre dernier, le juge Desmarais déclarait cette pratique contraire aux dispositions pertinentes du Code criminel, estimant qu’elle porte atteinte au droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte ainsi qu’au droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l’art. 9 de la Charte Note de bas de page 24.
Une autre affaire montre que le manque de ressources en santé mentale touche aussi les enfants. Des accusations portées contre une jeune fille de 13 ans atteinte de troubles mentaux ont fait l’objet d’un arrêt des procédures en février 2003 par un juge de la cour provinciale de l’Ontario. Le juge avait ordonné une évaluation dans un hôpital psychiatrique, mais l’adolescente a été tout d’abord envoyée dans un centre de détention pour jeunes où elle a été détenue pendant 15 jours sans qu’on juge bon d’en informer son avocat, ses parents ou le tribunal. Finalement, par suite d’autres ordonnances judiciaires, une évaluation psychiatrique a été effectuée dans un hôpital local pour enfants pendant que la jeune fille était toujours en détention. Selon le juge Dorval, à cause du manque de ressources appropriées pour les personnes de moins de 16 ans, cette évaluation a été superficielle et on a administré à l’accusée des antipsychotiques, non pour des raisons médicales, mais seulement pour contrôler son comportement difficile. De l’avis du juge, il s’agissait d’un traitement différent en fonction de l’âge, et d’une atteinte aux droits à l’égalité garantis à cette jeune personne par l’art. 15 de la Charte Note de bas de page 25.
Des cas comme ceux-là confirment l’existence d’un problème de ressources susceptible d’avoir une incidence sur les droits fondamentaux des personnes aux prises avec le système de justice criminelle. Le gouvernement de l’Ontario, il faut le souligner, a reconnu la difficulté et tente d’y remédier. Le mois dernier, le ministre de la santé annonçait la création d’un programme de 27,5 millions $ par année dont l’objectif est de faire en sorte que les malades mentaux accusés d’infractions mineures soient soustraits au système de justice criminelle Note de bas de page 26. Pendant ce temps, on continue à lutter pour que les personnes atteintes de troubles mentaux qui sont détenues soient traitées d’une façon adéquate. La situation des malades mentaux faisant l’objet d’accusations criminelles s’améliore un peu dans la province, mais l’action des autorités demeure hésitante.
Le droit civil
Les questions soulevées par la maladie mentale ne se limitent pas au droit pénal. Une myriade de problèmes éthiques et juridiques épineux se posent aussi dans le système de justice civile. Dans quels cas peut-on appréhender une personne atteinte de maladie mentale et l’hospitaliser de force? Peut-on forcer un malade mental à prendre des médicaments? Ces questions mettent en jeu des droits fondamentaux mais opposés. D’un côté, la liberté de l’individu et son droit de prendre les décisions au sujet de son traitement. De l’autre côté, cette réalité tragique : souvent, les personnes atteintes de troubles mentaux sont incapables, en raison même de leur état, de prendre des décisions susceptibles de leur être bénéfiques. Leurs proches estiment naturellement qu’ils devraient avoir la possibilité d’imposer un traitement, au moins jusqu’au moment où, son état s’étant amélioré, le malade sera en mesure de prendre lui-même de telles décisions.
On trouve une illustration dramatique de ce dilemme dans un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, l’affaire Starson Note de bas de page 27 comme on l’appelle couramment. Scott Starson – le professeur Starson, comme lui-même aime à se désigner – est une personne remarquable, d’une intelligence exceptionnelle. Bien que sans formation universitaire en physique, il a effectué dans ce domaine des travaux notables, dont l’intérêt a été reconnu par certains membres de la communauté scientifique. Il a publié plusieurs articles et un professeur de l’Université Stanford a même soutenu que ses idées étaient en avance de dix ans.
Toutefois le professeur Starson souffre également d’une maladie mentale. Selon la preuve, le diagnostic le plus souvent posé à son sujet est celui de troubles bipolaires. La maladie du professeur Starson a provoqué chez lui des idées délirantes. Ainsi, il a déjà cru qu’il était à la fine pointe d’efforts déployés pour construire un vaisseau spatial, il a affirmé être un skieur et un adepte du tir au poignet de calibre international, il a soutenu qu’il est le plus grand savant au monde et qu’il communique avec les extraterrestres. La maladie du professeur Starson l’a également conduit à proférer des menaces et à avoir des comportements agressifs qui lui ont occasionné des problèmes avec la justice criminelle. Lors de l’audience, il était détenu dans un hôpital psychiatrique après avoir été déclaré non responsable criminellement, en raison de troubles mentaux, de menaces de mort proférées contre des voisins. Il était impossible par ailleurs de déterminer s’il avait vraiment accompli des travaux scientifiques valables au cours des dernières années.
Les médecins du professeur Starson croyaient que la médication était susceptible de lui permettre de recouvrer la santé et d’empêcher l’aggravation de son état. Mais M. Starson refusait toute forme de médication. Les médicaments, disait-il, ralentissaient son esprit et l’empêchaient de se livrer à ses recherches. Le médecin du professeur Starson a conclu qu’il était incapable de prendre une décision quant au traitement proposé. Le professeur Starson a demandé à la Commission du consentement et de la capacité de l’Ontario d’examiner cette décision. La Commission a confirmé la conclusion d’incapacité. Selon elle, le professeur Starson niait presque absolument sa maladie; dans ces conditions, il lui était impossible de faire un lien entre l’information sur le traitement et ses propres troubles mentaux. De ce fait, le professeur Starson était dans l’incapacité de comprendre les conséquences d’un refus de la médication ou d’un consentement. De la même façon, sa maladie le rendait incapable d’évaluer les risques et les avantages d’une décision relative au traitement.
Le professeur Starson a demandé que la décision de la Commission fasse l’objet d’un contrôle judiciaire et il a réussi à convaincre la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario qu’il avait la capacité de prendre la décision de refuser le traitement. L’affaire a été soumise à la Cour suprême du Canada, qui devait se prononcer sur l’interprétation du critère établi par la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé Note de bas de page 28 pour statuer sur la capacité, et sur le caractère raisonnable de la décision de la Commission.
La loi ontarienne prévoit que toute personne, même atteinte de troubles mentaux, est présumée capable de prendre des décisions en matière de traitements. Pour qu’une personne soit déclarée incapable de le faire, elle doit être dépourvue de la capacité cognitive d’analyser, de retenir et de comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant un traitement. Une personne sera également incapable si elle est inapte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision. Autrement dit, pour être capable, le patient doit être en mesure de comprendre les renseignements pertinents, de les appliquer à sa situation personnelle et d’évaluer les risques et avantages prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision. Le fait que le traitement proposé soit ou non dans l’intérêt du patient n’est pas pertinent pour la détermination de la capacité.
La majorité de la Cour suprême a conclu que le professeur Starson avait la capacité, en vertu de la loi ontarienne, de refuser la médication. Elle a jugé que la Commission n’avait pas correctement appliqué le critère légal de la capacité en laissant sa propre conception de l’intérêt du professeur Starson influencer indûment sa décision, et que la décision d’imposer le traitement était déraisonnable au regard de la preuve. La question clé consistait à déterminer si la Commission avait commis une erreur en concluant que le professeur Starson niait presque totalement sa maladie, qu’il ne comprenait pas bien les effets bénéfiques du traitement et les risques d’une absence de traitement et qu’il ne savait pas que son état risquait de se détériorer en l’absence de traitement.
De souligner la majorité, la preuve indiquait que le professeur Starson comprenait que son cerveau ne fonctionnait pas normalement et que le traitement proposé aurait un effet normalisant. Cette conclusion, a jugé la Cour, satisfaisait aux exigences de la Loi en matière de prise de décision, et le professeur Starson avait le droit de refuser la médication. Dans un jugement dissident, j’ai conclu que la décision à l’effet contraire de la Commission était raisonnable et était appuyée par le témoignage des médecins du professeur Starson, qui avaient estimé que, malgré son intelligence, son délire l’empêchait de voir que, sans traitement, ses chances de pouvoir un jour sortir de l’hôpital psychiatrique étaient très minces.
La façon dont a été accueillie la décision selon laquelle le professeur Starson ne pouvait être contraint à suivre un traitement, traduit l’ambivalence de la société sur l’opportunité de traiter les malades mentaux sans leur consentement. Certains se sont félicités du résultat, d’autres l’ont déploré. La mère de Starson aurait, a-t-on rapporté, été anéantie par l’arrêt de la Cour, disant qu’on avait détruit la vie et les rêves de son fils Note de bas de page 29. Un compte rendu d’interviews ultérieures avec le professeur Starson et une comparution devant la Commission ontarienne d’examen semblent indiquer que son état mental ne s’améliore pas Note de bas de page 30. À la suite de sa dernière audience devant la Commission d’examen en décembre de l’année dernière, on a encore une fois conclu que le professeur Starson représentait un risque véritable et important pour le public. La Commission a donc ordonné le maintien de sa détention dans un hôpital psychiatrique Note de bas de page 31. Le professeur Starson pourrait bien ne jamais guérir du mal dont il est atteint et rester détenu pour le reste de ses jours, ou en tout cas faire l’objet d’une surveillance étroite dans le cadre du système de justice criminelle. On se trouve donc devant un paradoxe cruel : la liberté de refuser une «médication» peut en fait se solder par un enfermement débilitant dans un établissement psychiatrique. Peut-on vraiment parler d’autonomie?
L’arrêt Starson trouve ses assises dans le grand respect traditionnellement accordé par notre droit à l’autonomie de la personne – la capacité d’exercer des choix fondamentaux au sujet de son corps – et au droit de chacun de ne pas subir d’atteinte à son intégrité physique. Selon la common law, on ne peut administrer un traitement médical – qu’il soit d’ordre physique ou psychologique – sans le consentement du patient. Un tel acte constitue le délit de battery Note de bas de page 32. Comme le faisait observer le juge Benjamin Cardozo dans une affaire célèbre du début du siècle dernier, [traduction] «Tout être humain d’âge adulte et sain d’esprit a le droit de déterminer ce qui sera fait avec son propre corps; et le chirurgien qui pratique une intervention sans le consentement de son patient commet des voies de fait, pour lesquelles il peut être condamné à des dommages-intérêts Note de bas de page 33».
L’autonomie revêt clairement une importance fondamentale. Toutefois, il ressort implicitement de la remarque incidente du juge Cardozo que l’autonomie ne saurait jamais être absolue. Les règles régissant l’hospitalisation et les traitements non voulus par le patient doivent trouver un juste équilibre entre l’autonomie de ce dernier et les autres objectifs s’y opposant, d’une manière qui permette de respecter la dignité et les besoins des personnes atteintes de maladie mentale. Les lois par lesquelles on y parvient varient d’une province à l’autre. Historiquement, le critère applicable à l’égard de l’hospitalisation contre leur gré des personnes était simplement la nécessité du traitement Note de bas de page 34. À la fin des années 1970, les assemblées législatives provinciales ont commencé à y substituer un autre critère fondé, lui, sur la dangerosité. À l’heure actuelle, toutes les provinces canadiennes autorisent l’hospitalisation forcée leur gré des personnes qui constituent un risque pour elles-mêmes ou pour autrui Note de bas de page 35.
Dans certaines provinces, il doit s’agir d’un risque pour l’intégrité physique ou corporelle. Ailleurs, on a recours à une notion plus large de danger, et un risque de préjudice grave de nature psychologique, émotionnelle, sociale, voire financière, peut justifier l’hospitalisation forcée. Ainsi, certaines provinces canadiennes sont allées au delà de la dangerosité comme unique justification de l’hospitalisation involontaire, pour appliquer un modèle axé sur le «traitement». En Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba et, dans une moindre mesure en Ontario, on peut faire admettre dans un établissement psychiatrique, contre son gré, une personne atteinte de troubles mentaux afin d’empêcher une détérioration sérieuse de son état mental ou physique Note de bas de page 36. L’objectif poursuivi n’est pas simplement la mise à l’écart de la société des personnes atteintes de maladie mentale; il consiste aussi dans l’administration d’un traitement aux personnes qui en ont besoin mais qui, en raison de leur état, peuvent ne pas être en mesure de comprendre rationnellement leur maladie et la nécessité du traitement.
De solides arguments sont invoqués en faveur et à l’encontre des modèles opposés de la «dangerosité» et du «traitement». Les tenants du modèle de la «dangerosité» font valoir que les restrictions à la liberté physique et à l’autonomie d’une personne imposées par l’État sont des mesures très sérieuses, pouvant seulement être justifiées sur la base du principe du préjudice. Selon eux, le fait de permettre l’internement d’une personne qui ne pose aucun risque de préjudice pour elle-même ou pour autrui est une atteinte injustifiable à la liberté personnelle. À leur avis, il s’agit au surplus d’une discrimination envers les personnes souffrant de maladie mentale, puisque jamais nous n’accepterions l’hospitalisation forcée de personnes atteintes seulement d’une maladie physique. Le modèle du «traitement», pour eux, traduit une manière abusivement paternaliste de traiter le malade mental Note de bas de page 37.
Les défenseurs du modèle du «traitement» rétorquent que la «dangerosité» ne saurait constituer le seul motif justifiant de faire intervenir le système de santé. Il est notoirement difficile de prédire la dangerosité, et il est préférable que cela se fasse dans le cadre du système de justice criminelle, par l’application des dispositions du Code criminel sur les délinquants dangereux. Par ailleurs, il est tout à fait inopportun de demander aux professionnels de la santé, dont le rôle est de traiter et de guérir, de faire simplement office de gardiens des personnes jugées dangereuses. Au surplus, disent-ils, si l’on fait de la dangerosité le critère exclusif, tous ceux et celles qui ont désespérément besoin d’un traitement médical mais ne sont pas en état de prendre une décision rationnelle à ce sujet, en seront privés. Et souvent, ils s’engageront alors dans la spirale infernale : itinérance, toxicomanie, criminalité, suicide.
L’hospitalisation n’est pas la fin de l’histoire. Une fois qu’une personne atteinte de maladie mentale se trouve en sécurité dans un établissement hospitalier, la question du traitement peut se poser. Il peut arriver que cette personne pose un risque pour elle-même ou pour autrui, mais qu’elle refuse tout traitement. Certaines de ces personnes – comme le professeur Starson, par exemple – peuvent satisfaire au critère légal relatif à la capacité de consentir à un traitement. Une autre série de problèmes surgit alors. Pouvons-nous passer outre la décision de refus de traitement d’une personne par ailleurs dotée de la capacité de prendre une telle décision? Qui détermine si les personnes incapables devraient être mises sous médication – des médecins, un fonctionnaire, un juge, peut-être un proche parent? Et comment cela devrait-il se faire – faut-il essayer de prendre la décision la plus conforme à l’intérêt du patient, ou devrait-on tenter de respecter la volonté qu’il a exprimée, s’il en a la capacité?
Là encore entrent en jeu les valeurs contradictoires de l’autonomie, du traitement et de la protection et, selon les provinces, la loi emprunte des approches différentes à ce propos. Le traitement forcé d’un patient doté de la capacité soulève de sérieuses préoccupations touchant la liberté, l’intégrité physique et l’égalité. Comme l’a signalé la majorité dans l’arrêt Starson, «le droit de refuser un traitement médical non souhaité est fondamental pour la dignité et l’autonomie d’une personne Note de bas de page 38». De façon semblable, dans l’arrêt Fleming c. Reid, le juge Robins, de la Cour d’appel de l’Ontario, a écrit : [traduction] «Il y a peu de procédures médicales plus attentatoires aux droits que l’injection forcée de psychotropes Note de bas de page 39». Dans le cas d’une personne souffrant de maladie mentale qui comprend tous les renseignements relatifs à leur traitement, ainsi que les bienfaits et les risques de celui-ci, mais refuse tout de même son consentement, l’atteinte à l’autonomie est incontestablement grande.
Par contre, on peut faire valoir que ne pas traiter des personnes présentant de graves troubles mentaux parce qu’elles refusent d’y consentir, c’est manifester une compréhension particulièrement étroite de leurs droits et libertés civiles. C’est présumer qu’il y a lieu de privilégier les droits à l’autonomie «formelle» des personnes dont la volonté et la compréhension sont grandement amoindries par la maladie, au détriment de leur liberté essentielle et de leurs autres droits et libertés dont la maladie les prive. Faute de traitement, elles risquent fort de voir compromis d’une façon permanente leur droit de ne pas être détenu et leur droit d’avoir un esprit qui n’est pas la proie de délires débilitants, d’hallucinations terrifiantes et de pensées irrationnelles. Certes, en respectant la décision d’une personne atteinte de maladie mentale de refuser un traitement, on la traite, formellement parlant, de la même manière que les patients sains d’esprit, mais, conclut-t-on, abandonner ces personnes aux tourments de leur maladie, à la détérioration de leur état mental et physique, à la toxicomanie, voire au suicide, ce n’est sûrement pas respecter leur dignité inhérente d’êtres humains.
Deux visions différentes, donc, et pas de réponses simples.
Conclusion
Les questions d’ordre juridique et éthique que soulève la maladie mentale sur le plan de la justice pénale et civile sont extrêmement ardues et complexes. Elles sont loin d’être résolues et nous ne sommes pas près d’en avoir fini avec elles. On peut tout de même dire ceci : de grands progrès ont été accomplis dans la façon dont la maladie mentale est traitée, tant par la médecine que par le droit. Grâce à l’évolution de la science médicale, nous ne considérons plus les malades mentaux comme des personnes mauvaises, des pécheurs, des possédés. Nous savons qu’elles ne méritent pas d’être châtiées. Nous savons aussi qu’il est possible de traiter avec succès les personnes atteintes de maladie mentale. C’est pourquoi nous avons cessé de ne tenir aucun compte de leurs besoins, de nous contenter de les soustraire à la vue de tous et de les abandonner à leur triste sort.
Les progrès de la médecine ont contribué à dissiper les idées fausses découlant de l’ignorance et des préjugés. Ainsi, nous réalisons maintenant que la plupart des personnes souffrant de maladie mentale ne sont pas dangereuses. La loi l’a reconnu en renonçant à la présomption de dangerosité qui inspirait l’ancien système des mandats du lieutenant-gouverneur. Les délinquants atteints de troubles mentaux sont maintenant traités d’une façon plus appropriée par le droit, qui n’autorise plus leur détention automatique et arbitraire. Nous avons plutôt adopté un système qui accorde à ces délinquants toute la liberté compatible avec la sécurité du public. Parallèlement, les textes régissant l’hospitalisation et le consentement cherchent encore difficilement l’équilibre souhaitable entre l’autonomie et la dignité des malades mentaux, d’une part, et leur droit au traitement et l’importance de protéger le public contre les individus dangereux, d’autre part.
Il reste beaucoup à faire. La science est bien loin d’avoir percé tous les mystères de la maladie mentale. Il reste beaucoup à apprendre au sujet des causes et des pistes de traitement possibles. La découverte de ces secrets constitue un défi important pour la médecine. Pour le droit, le défi consiste à suivre le rythme des progrès de la médecine, à faire en sorte que les dispositions légales régissant les personnes atteintes de maladie mentale répondent à l’état actuel des connaissances scientifiques. Notre défi commun à nous, médecins et juristes, est de travailler ensemble à la résolution des problèmes suscités par la maladie mentale. Les lois ne peuvent pas guérir les gens – seuls les services et les traitements assurés par les professionnels de la santé peuvent parvenir à ce but ultime. Mais le droit peut créer un contexte social et réglementaire propre à aider les professionnels de la santé à s’acquitter de leur mission d’une manière qui soit à la fois conforme à la déontologie et respectueuse des droits et des besoins du malade mental.
Si nous y parvenons, il se peut bien que la prochaine fois que je rencontrerai mon ami le chef de police, à l’occasion d’un dîner-conférence, il ne m’entretienne pas des difficultés que lui créent les personnes atteintes de troubles mentaux, mais qu’il se plaigne plutôt d’une quelconque décision de la Cour suprême. Si c’est le cas, je m’en réjouirai.
Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
2004 Honourable Mr. Justice Michael O’Byrne/AHFMR
Lecture on Law, Medicine and Ethics
Université de l’Alberta et Université de Calgary
Les 17 et 18 février 2005
Notes de bas de page
- Note de bas de page 1
-
Ces statistiques sont tirées de : Santé Canada, Rapport sur les maladies mentales au Canada, Ottawa, 2002.
- Note de bas de page 2
-
Sexual Sterilization Act, S.A. 1928, ch. 37; Sexual Sterilization Act, S.B.C. 1933, ch. 59; voir aussi Muir c. Alberta, [1996] A.J. No. 37 (QL) (Q.B.), annexe «A».
- Note de bas de page 3
-
Buck c. Bell, 274 U.S. 200 (1927).
- Note de bas de page 4
-
Ibid., p. 207.
- Note de bas de page 5
-
S.A. 1972, ch. 87.
- Note de bas de page 6
-
Muir c. Alberta, précité.
- Note de bas de page 7
-
Ibid.
- Note de bas de page 8
-
Ibid.
- Note de bas de page 9
-
Communiqué de presse du Gouvernement de l’Alberta, 2 novembre 1999; consulté le 27 janvier 2005.
- Note de bas de page 10
-
Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, par. 31.
- Note de bas de page 11
-
(1843) 8 E.R. 718.
- Note de bas de page 12
-
Ibid., p. 722.
- Note de bas de page 13
-
Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149, p. 1160.
- Note de bas de page 14
-
Ibid., p. 1162.
- Note de bas de page 15
-
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1354.
- Note de bas de page 16
-
R. c. Oomen, [1994] 2 R.C.S. 507, p. 516.
- Note de bas de page 17
-
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933.
- Note de bas de page 18
-
Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, par. 47-49.
- Note de bas de page 19
-
Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625.
- Note de bas de page 20
-
Ibid., par. 71.
- Note de bas de page 21
-
Ibid., par. 90.
- Note de bas de page 22
-
Jake Rupert, «Mentally Ill Wait in Jail for Justice to be Done», Ottawa Citizen, 10 novembre 2004. Bien entendu, des tragédies tout aussi regrettables peuvent survenir dans un hôpital psychiatrique : voir Harold Levy, «Is the Law Fair When Mental Patients Die?», The Toronto Star, 7 février 2005.
- Note de bas de page 23
-
Rupert, loc. cit.; voir aussi Jake Rupert, «He Doesn’t Look Like the Person I Knew», Ottawa Citizen, 4 juin 2004.
- Note de bas de page 24
-
R. v. Hussein, [2004] O.J. No. 4594 (QL) (C. sup. just.), par. 33.
- Note de bas de page 25
-
R. v. S.M., [2004] O.J. 1007 (QL) (C. just. Ont), par. 30 et 31.
- Note de bas de page 26
-
Voir «The Inside Story – Mentally Ill Diverted from Jails», Law Times, vol. 16, No 3, 24 janvier 2005, p. 16.
- Note de bas de page 27
-
Starson c. Swaize, [2003] 1 R.C.S. 722.
- Note de bas de page 28
-
L.O. 1996, ch. 2, ann. A, art. 4.
- Note de bas de page 29
-
Sue Bailey, «Man Hailed by Some as Genius Cannot be Forcibly Drugged for Mental Illness».
- Note de bas de page 30
-
Christina Spencer, «In the Name of Freedom», MD Canada, septembre/Octobre 2003, ‹http://www.mdcanada.ca/issues/ISarticle.asp?id=103691&story_id=182605141138&issue=09012003&PC=›.
- Note de bas de page 31
-
Re Scott Schutzman a.k.a. Starson, dossier ORB No 2852, 10 décember 2004.
- Note de bas de page 32
-
Reibl c. Hughes, [1980] 2 R.C.S. 880, p. 890-891.
- Note de bas de page 33
-
Schloendorff c. Society of New York Hospital, 211 N.Y. 125 (1914), p. 129-130.
- Note de bas de page 34
-
J. E. Gray et al., Canadian Mental Health Law and Policy (Toronto: 2000), p. 99.
- Note de bas de page 35
-
Ibid., p. 115 et suiv.
- Note de bas de page 36
-
Mental Health Act, R.S.B.C. 1996, c. 288, par. 22(3); Mental Health Services Act, S.S. 1984-85-86, c. M-13.1, par. 24(2); Mental Health Act, C.C.S.M., ch. M110, par. 17(1); et Mental Health Act, R.S.O. 1990, ch. M.7, par. 20(1.1).
- Note de bas de page 37
-
Voir G.B. Robertson, Mental Disability and the Law in Canada, (Toronto: 1987), p. 336-337 et 366-367.
- Note de bas de page 38
-
Starson c. Swaize, précité, par. 75.
- Note de bas de page 39
-
(1991), 4 O.R. (3d) 74, p. 88.